Nicole Genevese

hélas, la pièce

En aout 2016 j’ai écrit une pièce qui pourrait s’appeler hélas, avec un « h » minuscule si petit qu’il semblerait né d’un matin issoldunois, au milieu des prunes et des brumes, la bouche tendue vers le sein de la création, fils d’un Intermarché franchisé et d’un ouvrage relié cuir de la philosophe allemande Hannah Arendt, souple et mystérieux. Ce que j’identifie post-écriture, c’est un besoin de partager avec les gens une réflexion que je poursuis depuis juin 2011 autour des vertus sociales de la série télévisée Plus Belle La Vie. Lectures d’ouvrages sociologiques, articles de presse nationale et internationale, visionné et répertorié près de 2000 épisodes que j’ai classés par thématiques sociales, politiques, audaces scénaristiques, étude de sondages IFOP, cartons rouges du CSA (la série française qui en collectionne le plus)… je me suis passionnée pour la série depuis quelques années et un beau matin, c’est hélas que j’ai écrit. La pièce met en scène une famille composée de Père et Mère, souverains autour d’une nappe, et de Fils et Fille, principaux candidats à l’insurrection. En pratique, il s’agit d’une scène très conventionnelle de dîner familial qui, tel un système autoritaire abrutissant, va se répéter à l’infini, et ce malgré les diverses tentatives que certains de ses protagonistes osent pour s’en affranchir. En effet, le vide qui caractérise le langage dont usent les personnages dans leurs échanges est une partition envoûtante de laquelle il est difficile de s’extraire quand on a le goût du confort. Aussi des éléments extérieurs à la famille (l’oncle Michel et l’adjointe à la culture) vont permettre à ceux qui en expriment le besoin de gagner en confiance et devenir artisans de leur libération.

Dans hélas, la famille est une cellule de référence qui me permet d’étudier la vanité des communautés et d’éprouver la frontière qu’il y a entre libération et liberté. La violence qui y est exprimée me rappelle celle du Schmûrtz ou les bâtisseurs d’empire de Boris Vian ; plus proche du Grand-Guignol que de la peinture réaliste, et parce que le théâtre permet d’exulter publiquement les pulsions anti-sociales, la violence oppressante et humiliante dont fait état hélas justifie et même nourrit la victoire des justes. En somme, hélas est une dramaturgie de l’émancipation.

Nicole Genovese

Début de l’interview

 

Julien Bancilhon : Nous avons aujourd’hui l’immense plaisir d’accueillir Nicole Genovese. Certains d’entre vous ont vu la pièce Hélas, qui a été jouée dans deux endroits. Certains l’ont vu au Théâtre de Vanves, d’autres au Grand Parquet.

Nicole Genovese : Bonjour à tous. Le plaisir est partagé. Pour certains, nous nous étions rencontrés en décembre, à la Maison des Métallos, où j’étais venue écouter une de vos interviews. Aujourd’hui, je me retrouve du côté de la lumière, et je suis très impatiente de connaître vos réactions sur le travail, sur Hélas.

 

Maxime : Bonjour. On a démarré le spectacle avant Rafa parce qu’il était venu avec Sébastien et Aurélie. On a vu la pièce de théâtre, c’était un super spectacle. Il a mal parlé à son père, il a crié très fort parce qu’il n’aimait pas la nourriture pour manger. Le père a dit : « Tais-toi, Kévin ! Maintenant, assieds-toi. ». Il lui a tordu le cou, comme ça, et après, il est mort. J’ai tout déménagé parce que, demain, je repars sur les routes. Il y aura un autre comédien qui va le remplacer parce qu’il y aura un autre comédien, un autre spectacle. Il a salué le public, c’était un beau spectacle. Vous faites tous la soirée et vous partez pour les cadeaux de Pâques, les chocolats.

Nicole Genovese : C’est très bien résumé, jusqu’aux cadeaux de Pâques. Oui, je me suis fait étrangler. Je joue le rôle de l’adjointe à la Culture, et je me suis fait étrangler par le papa. Chaque soir, il m’étrangle à nouveau, mais ça ne marche pas. C’est une bagarre mais il n’y a pas d’issue, ça recommence, ça recommence. L’adjointe est plus forte que le papa.

Adrien : C’est pour de vrai ou c’est pour rire ?

Nicole Genovese : C’est pour de faux. Il y a une technique pour ne pas être étranglée pour de vrai.

Maxime : En plus, tu as fait pleurer la maman. C’était vraiment triste. Un jour, il y aura un autre comédien, un autre spectacle. La semaine prochaine, je pars sur les routes pour entendre Percujam.

Raja : Driss m’a un petit peu parlé du spectacle. Ce que j’ai compris, c’est que c’est vous qui avez mis en place la pièce.

Nicole Genovese : Je l’ai écrite et je joue dedans.

Raja : C’est-à-dire que vous êtes à la fois le moteur, la personne qui analyse, vous le vivez en même temps. En fait, tous les moteurs psychologiques de tout ce que vous faites sont en rapport. Est-ce que vous me comprenez ?

Nicole Genovese : Oui, complètement. Vous parlez de moteur, ça me parle beaucoup, parce que c’est ça, oui.

Raja : Vous vivez la problématique, vous savez l’analyser, vous savez vivre à l’intérieur de vous les problématiques d’autres personnes, parce que vous devez les soigner. Vous avez toutes les strates du vécu social, et le vôtre est totalement impulsé dedans. Vous êtes dans toutes les sphères de votre psychisme, et comme vous ne détruisez rien, c’est comme si vous étiez tous les éléments. C’est tout de l’intérieur, et ça se voit dans votre jeu, c’est vivant. Pourtant, je n’ai pas vu le spectacle.

Nicole Genovese : Merci pour ces belles observations. Être relié à tous les éléments, c’est la meilleure chose que l’on puisse souhaiter à l’individu. Quand vous dites qu’il y a plusieurs strates, ça m’intéresse, parce que c’est quelque chose que les gens disent souvent quand ils ont vu la pièce, qu’il y a plusieurs grilles de lecture. Par exemple, les artistes aiment cette pièce parce qu’ils ont l’impression que ça parle d’art, que c’est uniquement une pièce autour de l’art. Ceux qui font spécifiquement du théâtre pensent que ça ne parle que du théâtre. Il y a des parents qui sont venus me voir en me disant : « C’est magnifique, ça parle de la douleur de voir les enfants quitter la maison. » Je ne suis pas parent et, à vrai dire, je n’ai pas vraiment pensé à ça, mais je trouve ça chouette que des personnes puissent voir ça. Vous dites que j’ai plusieurs strates sociales en moi ; j’aime bien ça parce que je porte toujours une douleur. En effet, il y a une partie de moi qui a une culture très populaire ; je viens d’une famille modeste, et en arrivant sur Paris, je me suis fait toute une culture plutôt intellectuelle. J’ai toujours un va-et-vient entre ces deux-là.

Adrien : Quand on écrit le texte, je trouve que c’est mieux d’avoir une autre personne qui joue plutôt que de jouer dans sa propre pièce, car sinon, on a un peu la grosse tête et les chevilles qui enflent.

Nicole Genovese : Oui, tu as raison, j’ai complètement la grosse tête. C’est vrai, je ne vais pas mentir, il y a un peu d’orgueil dans tout ça. À vrai dire, j’ai commencé à écrire des pièces parce que, quand on est comédien, on est à la merci du désir des metteurs en scène, donc s’ils ne nous appellent pas, on ne joue pas. Ça me rendait folle de dépendre du désir de quelqu’un d’autre, donc j’ai décidé d’écrire mes pièces pour jouer dedans. Après, je joue dans d’autres spectacles avec d’autres gens de temps en temps, ce qui fait du bien et ce qui fait baisser la grosse tête et les chevilles qui enflent.

Arnaud D. : Tu peux redire quand est-ce que tu es née ? Je ne me rappelle plus.

Nicole Genovese : Le 6 août 1983.

Arnaud D. : C’est la même date que Marc Lavoine.

Nicole Genovese : Oui, je sais.

Arnaud D. : J’ai vu que tu avais 35 ans.

Nicole Genovese : Mais lui, il a plus que 35 ans. Je vais avoir 36 ans en août.

Arnaud D. : Tu habites où ? Je ne rappelle plus.

Nicole Genovese : Je loge en Bourgogne en ce moment.

Arnaud D. : Tu es mariée ou pas ?

Nicole Genovese : Je suis en train de divorcer. Mais oui, techniquement, je suis encore mariée.

Arnaud D. : Nicole, est-ce que ça t’est égal que je te tutoie ou que je te vouvoie ?

Nicole Genovese : Oui.

Arnaud D. : Tu veux aussi que je t’appelle par ton prénom ?

Nicole Genovese : Tout à fait, ça me va.

Arnaud D. : Toi et moi, on se tutoie et on s’appelle par nos prénoms ?

David S. : Est-ce que cette pièce a été inspirée par la Finlande ?

Nicole Genovese : Dans toutes les pièces que j’ai écrites, il y a toujours un petit quelque chose en rapport avec la Finlande. Dans cette pièce-là, il y a un petit peu moins de Finlande, mais dans Des chiffres et des lettres, il y a un monsieur qui est là, qui a un prénom finlandais et qui dit qu’il est d’origine finlandaise. Du coup, j’ai trouvé ça rigolo et j’ai gardé ça ; c’est un petit clin d’œil à la Finlande.

Tristan : J’aimerais discuter avec Nicole sur le spectacle Hélas. La table, le dîner, la télé. Nicole, est-ce que je peux discuter avec vous ?

Nicole Genovese : Bien sûr.

Tristan : Vous avez connu le spectacle Hélas, tout a recommencé avec la table et la télé. Je trouvais ça marrant.

Nicole Genovese : Vous avez trouvé ça marrant que ça se répète ?

Tristan : Oui, j’ai trouvé ça très marrant.

Nicole Genovese : Moi, je trouve ça angoissant.

Tristan : Moi, ça me fait rire, le spectacle Hélas.

Nicole Genovese : Oui, ça peut être drôle aussi, c’est vrai. Mais la répétition, en tout cas, les trois premières scènes, qui sont vraiment pareilles, et le début de la quatrième, pour moi, c’est angoissant. Enfin, le mot est très fort, ce n’est pas une angoisse. Disons que ça peut m’ennuyer.

Tristan : Dans ce cas, il ne faut pas que vous regardiez.

Nicole Genovese : Je ne regarde pas. Mais j’entends la scène se jouer. Heureusement qu’il y a Des chiffres et des lettres, parce que tout d’un coup, ça m’ennuie moins.

C’est très précis, ce qu’ils font. Sébastien remet toujours les bols, qui sont de couleurs différentes, à la même place. Ils ont fait un travail de précision.

Tristan : Sur la table, ils mettent les assiettes, les couverts, les verres, la carafe d’eau, les plats, les serviettes, les chaises…

Nicole Genovese : Le sel, le poivre, la soupière…

Tristan : Oui, et pour mettre la casserole dessus…

Nicole Genovese : Le dessous de plat.

Tristan : Oui, le dessous de plat.

Sébastien : J’ai entendu les claques pendant le spectacle. C’est pour de faux ?

Nicole Genovese : Oui, c’est en claquant dans les mains. On fait semblant, la main passe pas loin du visage, mais il y a quelqu’un sous la table qui claque. C’est pour ne pas faire mal, sinon, c’est terrible.

Sébastien : J’ai adoré ce spectacle.

Nicole Genovese : Merci, ça fait plaisir. Nous aussi, on aime bien le faire. Ce n’est pas facile à faire mais on y prend beaucoup de plaisir.

Anaïs : Ça va bien, tout va bien, tout va mieux.

Nicole Genovese : Alors, c’est parfait si ça va mieux.

Kévin : Est-ce que tu es metteuse en scène ou réalisatrice de ce spectacle ?

Nicole Genovese : Je suis réalisatrice de ce spectacle.

Kévin : Donc le spectacle s’appelle Hélas.

Nicole Genovese : Oui.

Kévin : C’est quelqu’un qui regrette toujours.

Nicole Genovese : C’est une très belle façon de résumer ce mot, quelqu’un qui regrette toujours.

Adrien : Dans la bouteille, c’est du vrai sang ou du faux sang ? C’est du ketchup ou c’est du… ?

Nicole Genovese : C’est du faux sang, bien sûr, fait à partir d’huile. C’est un produit spécial de maquillage de théâtre. Ce qui est bien, c’est que ça ne tache pas les vêtements et que ça n’abîme pas. C’est comme si c’était de l’huile avec du rouge dedans.

Adrien : Ça peut traumatiser les enfants et les jeunes filles.

Nicole Genovese : Des enfants ont vu la pièce mais ils n’ont pas été traumatisés. Ils ont eu juste de la peine, parce qu’ils ne comprennent pas pourquoi ce personnage, Michel, qui est si gentil, qui fait des dessins, reçoit la violence. À la fin, ils voient que ce personnage a beau recevoir des actes de violence, ça ne va pas l’empêcher d’être heureux et de faire ce qu’il a à faire. Et comme c’est lui qui termine la pièce, qui ouvre vers autre chose, qui se déguise en ver de terre pour nous montrer qu’après tout, on part de cet endroit-là, les enfants arrivent à se raconter des histoires qui les rassurent sur ce qu’ils ont vu.

Berivan : C’est quoi votre métier ?

Nicole Genovese : J’aime bien dire que je suis artiste dramatique, parce que c’est ce qui est écrit sur ma fiche de paie.

Berivan : C’est quoi ton autre métier ?

Nicole Genovese : Un métier, c’est quoi, c’est quand on gagne de l’argent en faisant un truc, ou c’est juste pratiquer une activité ? Si c’est juste pratiquer une activité, je fais de la couture, du tissage, des promenades, j’aime bien manger avec mes amis, dormir. Et si c’est pour gagner de l’argent, j’écris, je joue et, parfois, je suis invitée dans d’autres pièces d’autres genres pour regarder et donner mon avis.

Berivan : Est-ce que vous avez un fils ?

Nicole Genovese : Je n’ai pas d’enfant, pas de fils, pas de fille.

Berivan : Pourquoi ?

Nicole Genovese : Parce que c’est comme ça, la vie a fait ça. En plus, c’est mal parti, vu que je suis en train de divorcer.

Berivan : Vous êtes toute seule.

Nicole Genovese : Je suis toute seule, maintenant, mais j’ai mes amis, donc je ne me sens pas seule.

Berivan : Vous êtes triste ?

Nicole Genovese : Aujourd’hui, ça va, mais pour être honnête, en ce moment, je suis un peu triste, oui. Mais bon, ça arrive.

 

Valentin : Bonjour. À un moment, dans la pièce, vous vous faites fracasser avec un patin. Dans la vraie vie, vous seriez morte.

Nicole Genovese : Non parce que les patins de cette pièce ont été désaiguisés. Normalement, qu’on aiguise les patins pour qu’ils soient bien tranchants, mais nous on les a désaiguisés pour ne pas prendre de risques. En fait, ça nous ferait juste très mal.

Valentin : Mais on aurait cru, à un moment, que vous mouriez.

Nicole Genovese : Je ne sais pas si vous connaissez le phœnix qui renaît de ses cendres. J’adore penser qu’après une mort, il y a une renaissance. Dans cette pièce, à chaque fois qu’il y a quelque chose qui meurt, quelque chose d’autre se poursuit.

Valentin : Est-ce que vous savez comment ça se passe au théâtre pour donner de faux coups de fouet ? Si je joue le rôle de Thénardier.

Nicole Genovese : Il faut utiliser les deux trucs en bois qui font clac, clac. Il faut faire semblant de donner le coup de fouet et que quelqu’un, derrière, utilise les deux trucs en bois. Le cinéma et le théâtre permettent aussi de faire croire que c’est vrai, et le public qui regarde est soulagé, parce qu’il croit que c’est vrai mais qu’il sait que c’est faux.

Valentin : Moi, je suis plus habitué aux comédies où on rit. Ce spectacle est plus dans la tragédie.

Nicole Genovese : Là, c’est un peu une tragi-comédie à l’ancienne. Parce que c’est tragique, c’est drôle. J’aime bien ça.

Valentin : Les Misérables, c’est…

Nicole Genovese : C’est très tragique.

Valentin : Dans tous les rôles que j’ai eus, c’est plus violent.

Olivier : Comment avez-vous fait pour désaiguiser le patin à glace ?

Nicole Genovese : Est-ce que tu sais comment on aiguise ?

Olivier : Oui, avec une pierre.

Nicole Genovese : Tu as déjà vu dans quel sens on le fait.

Olivier : Dans le sens de la lame.

Olivier : Et où passe le patin à glace exactement ?

Nicole Genovese : Ici. C’est comme s’il était sur le crâne.

Olivier : Il te touche ou il passe à côté ?

Nicole Genovese : En vrai, il passe à côté. Il y a l’équivalent d’une main, soit environ 15 centimètres, qui me sépare du patin. Mais je fais confiance à André.

 

Grégory : Je suis très fier de vous. Tout le monde a fait un effort pour venir au Papotin. Tout le monde fait beaucoup de progrès. Tout le monde a fait un effort pour écouter Nicole.